Saturday, August 24, 2019

La cli-fi, pour climate fiction, fait le buzz aux Etats-Unis. Cette extension de la SF accueille

Here are the 2 pages of a newspaper article in French in a Swiss newspaper about cli-fi novels and written by reporter Maxime Maillard in late July in "Le Courrier" (Switzerland, Geneva).
 
 
''La cli-fi, pour climate fiction, fait le buzz aux Etats-Unis. Cette subgenre de la Science Fiction accueille
nos craintes et nos espoirs, entre scénarios apocalyptiques, critique sociale et réflexion éthique.''
 
FICTIONS CLIMATIQUES
Sécheresse et désertification sont souvent au coeur des romans de cli-fi, de plus en plus populaires aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années.
August 2, 2019

La cli-fi, pour climate fiction, fait le buzz aux Etats-Unis. Cette subgenre de la SF accueille
nos craintes et nos espoirs, entre scénarios apocalyptiques, critique sociale et réflexion éthique

Alors que l’incidence humaine sur la biosphère n’est hélas plus à prouver, d’aucuns
suggèrent de baptiser notre ère géologique «Anthropocène». Cet été, Le Mag examine
comment la culture raconte ou reflète cette...
 
 
Alors que la
science prédit depuis des décennies l’ampleur
des changements climatiques en
cours, la politique fait du sur-place. Entre
les données de la connaissance empirique
et l’inertie gouvernementale, notre
cerveau humain paraît pétrifié. Ce paradoxe
tiendrait-il à ce que l’auteur indien
Amitav Ghosh appelle «Le Grand
dérangement», à savoir notre incapacité
à percevoir l’énormité de la catastrophe
qui nous attend?
Les écrivains, eux, n’ont pas attendu
les mises en garde de l’ONU pour représenter
les enjeux écologiques. Une attention
renforcée depuis quelques années
dans le domaine de la fiction
anglo-américaine.
De nombreux livres
mettant en scène le bouleversement des
écosystèmes sous l’effet de la hausse des
températures ont fait leur apparition,
souvent traduits dans la foulée. Très
bien documentés, situés dans un futur
imminent voire dans un présent troublant,
ils constituent autant de laboratoires
de pensée et d’action, enchevêtrant
faits et émotions, enjeux....
 
...et destins singuliers. La tendance a
même trouvé son label et son meneur,
en la personne de Dan Bloom.
En 2013, ce journaliste américain
lance dans la mare numérique le terme
cli-fi, abréviation de climate fiction, sur
le modèle de la sci-fi, pour science fiction
– notre «SF» en français. Dans une
interview de 2017 à la Chicago Review
of Books
, il explique avoir été bouleversé
par la lecture d’un rapport du GIEC
de 2006 et par un entretien de James
Lovelock
, environnementaliste influent
et auteur de L’Hypothèse Gaïa.
Le missionnaire de la cli-fi
Restait à trouver un moyen d’éveiller
les consciences à son échelle. Un
mot-valise taillé sur mesure pour les
gros titres, couplé à la viralité du web,
allait offrir une bannière fédératrice à
la masse dispersée des productions littéraires
ayant pour thème le climat.
Devenu comme il le dit lui-même un
«missionnaire» de la cause, Dan Bloom...
 
alimente régulièrement une plateforme
(Cli-fi Report) qui recense les occurrences
de son invention à travers le
monde. Dans son sillage, on ne compte
plus les romans labellisés cli-fi, ainsi
 
que les essais et rubriques consacrés à
ce nouveau catalyseur de narrations
par temps de crise. Petit état des lieux
sans prétention d’exhaustivité.
Les pionniers
La nouveauté du terme cli-fi ne doit pas
cacher ce qu’il doit à la science fiction,
fleuve matriciel de nos imaginations et
des périls qui nous guettent. «Les liens
entre la SF et la cli-fi sont nombreux,

explique Yannick Rumpala, maître de
conférences en science politique à
l’université de Nice, qui a consacré plusieurs
articles aux relations entre
science-fiction, éthique et politique1.
Certains livres associés à la SF peuvent
être reversés a posteriori dans la cli-fi,
 
pénurie d’eau. Au sein de ce climat
hostile, les habitants développent des
dispositifs afin de recycler l’or bleu:
faucille à rosée, pièges à vent, combinaisons
spéciales visant à récupérer
l’humidité des corps.
Le manque d’eau cristallise également
la tension narrative de Sécheresse.
Un roman d’anticipation signé J.G. Ballard,
qui a consacré dix années de sa
vie à la série des Quatre apocalypses,
dont chacune met en scène un désastre
climatique. Paru la même année que
Dune, Sécheresse s’ouvre sur la mort du
fleuve et celle, annoncée, des liens
entre les humains et leur écosystème
vital. Le lecteur plonge dans un monde
de détritus et d’incendies causé par une
pellicule qui recouvre la surface des
océans, empêchant la formation des
nuages. L’explication du phénomène
tient en deux pages; ce qui intéresse
 
Ballard relève moins de la crédibilité
scientifique du scénario que des conséquences
du pire sur la vie sociale et la
santé mentale des personnages, dont
plusieurs basculent dans la violence.
S’en suit, sous la conduite du médecin
Ramson, une errance survivaliste
– thème récurrent des récits post-apocalyptiques
que l’on retrouve dans la
production contemporaine (pensons à
''THE ROAD'' de Cormac McCarthy).
La dystopie, c’est maintenant
Plus proche de nous, Claire Vaye
Watkins
et sa fable écologique Les
Sables de l’Amargosa (Albin Michel,
 
Les pionniers
La nouveauté du terme cli-fi ne doit pas
cacher ce qu’il doit à la science fiction,
fleuve matriciel de nos imaginations et
des périls qui nous guettent. «Les liens
entre la SF et la cli-fi sont nombreux,
explique Yannick Rumpala, maître de
conférences en science politique à
l’université de Nice, qui a consacré plusieurs
articles aux relations entre
science-fiction, éthique et politique1.
Certains livres associés à la SF peuvent
être reversés a posteriori dans la cli-fi,
qui peut être vue comme une actualisation
de thématiques SF, avec une étiquette
ajustée à l’air du temps et aux
enjeux contemporains.»
Dans les années 1960, la question
de la surexploitation de la nature et le
rêve de la terraformation d’autres corps
célestes occupent certains auteurs,
comme Frank Herbert. Le cycle romanesque
Dune (1965)
 
••• dans la filiation de Ballard. Désertification,
disparition du fleuve Colorado
des suites de l’irrigation intensive de la
Californie, description des grands espaces
américains, ce roman doit aussi
bien à la tradition du nature writing que
de l’anticipation. Cependant, la critique
sociale qu’il articule (lobbysme industriel,
politique sécuritaire, complotisme)
et son ancrage américain créent un effet
de proximité avec notre époque. Un trait
caractéristique de la cli-fi, comme si le
futur avait rétropédalé jusqu’à nous.
Désormais la dystopie ne se situe plus
dans un ailleurs spatiotemporel, mais
dans un univers familier.
Cette coïncidence entre univers romanesque
et symptômes réels est à
l’oeuvre aussi dans le dernier livre traduit
de Barbara Kingsolver. Dans la lumière
(Rivages, 2013) met en scène la
migration soudaine de milliers de papillons
monarques en lisière d’un village
des Appalaches. Sidérée par cette
apparition sublime et inquiétante (les
monarques passent normalement l’hiver
au Mexique), Dellarobia, jeune
mère de famille en proie à l’ennui,
alerte les autorités: l’info fait le tour du
monde, militants et scientifiques accourent,
déstabilisant une famille et
l’organisation d’une communauté
paupérisée. Détail significatif: Barbara
Kingsolver est docteur en écologie et
biologie de l’évolution.
Pas étonnant, dès lors, que sa fiction
se déploie à l’intérieur d’un cadre biologique
plausible. On y décèle un souci de
réalisme à l’égard de certains enjeux
liés au réchauffement climatique,
comme par exemple le clivage entre discours
scientifique et croyance religieuse
ou la disparité en termes de pouvoir
d’action entre riches et pauvres,
ville et monde rural.
Laboratoire éthique
Une précaution scientifique devenue
marque de fabrique de la cli-fi, qui s’illustre
chez d’autres auteurs du genre
comme Paolo Bacigalupi, dont La Fille
automate (2012) ou Water Knife (2016)
déroulent leurs intrigues dans un
monde ravagé par la pénurie d’énergies
fossiles ou d’eau. «Tous les auteurs en
activité vous le diront: aujourd’hui, on
ne peut plus écrire de la SF sans se documenter
sur l’état des connaissances
scientifiques», atteste Yannick Rumpala.
Selon le chercheur, le mariage entre
rationalité et émotion constitue une
voie d’accès privilégiée à la connaissance:
«Par la mise en scène fictionnelle
et une forme d’incarnation, la SF
permet d’aborder des enjeux éthiques
sans en avoir l’air, d’accéder à des problématiques
technologiques, écologiques,
sociales et, comme dans un laboratoire
imaginaire, de tester sans
risque des hypothèses en les poussant
jusqu’au bout.»
Comédie de moeurs et satire
Dans un autre registre, Solaire (2011),
de Ian McEwan, atteste
d’une même
vraisemblance à l’égard de la réalité climatique.
Le substrat scientifique est ici
plus marqué encore, personnifié par
Michael Beard, prix Nobel de physique
dont le climatoscepticisme des débuts va
laisser place à un engagement en faveur
de la photosynthèse artificielle. Un procédé
chimique de conversion de l’énergie
solaire en électricité que l’opportuniste
chercheur entend développer de
manière industrielle – extension fictionnelle
d’une technologie qui n’en est aujourd’hui
qu’au stade du prototype.
Etalée sur dix ans (2000-2010), l’intrigue
multiplie les effets de réels cependant
que le narrateur exerce son ironie
à l’égard de l’incurie politique, des médias
et de son anti-héro bouffeur de
viande dont les frasques maritales lui
confèrent une moralité suspecte. Reste
que ce monde en toile de fond est bien le
nôtre: Bush, Obama, crise de 2008,
conférences de l’ONU sur le climat. Si la
teneur satirique du roman désamorce
tout catastrophisme – dans une verve
frisant parfois le vaudevillesque –, le
discours central de Beard devant un
parterre d’investisseurs vaut le détour:
«La planète est malade. La guérir est
une urgence et va coûter cher», lance-til
avant d’évoquer l’histoire de l’effet de
serre et des enjeux climatiques actuels.
Romanciers alerteurs
La montée des eaux inspire également
l’imagination des écrivains. Dans Paris
sur l’avenir (2015), Nathaniel Rich
(lire
ci-dessous la chronique de son dernier
livre) raconte l’histoire d’un mathématicien,
spécialisé dans la prédiction des
désastres, qui monnaie ses services auprès
de compagnies d’assurances.
Jusqu’au jour où la probabilité d’un raz
de marée engloutissant New York se
réalise, l’incitant à se retirer loin du
monde pour cultiver son jardin. Même
ambiance à la Waterworld chez Kim
Stanley Robinson, dont le roman-cathédrale
New York 2140 (2017)
déplie
plusieurs points de vue narratifs pour
sonder le quotidien d’habitants de Manhattan,
où chaque rue est devenue un
canal, et chaque gratte-ciel une île. Encore
improbable il y a peu, ce scénario
apocalyptique a rejoint le monde des
possibles...
Sans être révolutionnaire, l’appellation
cli-fi a le mérite d’attirer l’attention
sur une famille d’ouvrages traversés
par une même inquiétude. Leur
écho aux Etats-Unis peut sembler paradoxal,
tant les salves anti-environnementalistes
au plus haut degré du
pouvoir sont devenues légion. Mais le
réseau des relais de ce type d’ouvrages
s’est densifié et gagne en audience,
comme les émissions dédiées de la NPR [National
Public Radio] ou la rubrique
mensuelle de la Chicago Review of
Books, intitulée «Burning Worlds»
en
référence à Ballard. Ces fictions servent
de plus en plus, au même titre que les
rapports des agences internationales,
de supports à la réflexion dans les cursus
universitaires. Enfin, plusieurs des
romanciers évoqués se muent euxmêmes
en alerteurs au-delà de leurs
livres (c’est le cas de Bacigalupi ou Nathaniel
Rich), associant à l’exploration
 
============
 
Histoire de rendez-vous
manqués avec la Terre

Journaliste au New York Times,
Nathaniel Rich retrace une décennie de luttes de
pouvoir aux Etats-Unis en vue d’un accord contraignant
pour limiter le réchauffement climatique.
Chaque année, Ken Caldeira, océanographe à la
Carnegie Institution for Science, demande à ses
nouveaux étudiants: quelle a été la plus grande
avancée scientifique en physique du climat depuis
1979? Question piège, car en quarante ans, toutes
les disciplines n’ont fait qu’affiner des analyses et
des prédictions déjà établies à cette époque.
Ken Caldeira fait partie de la centaine de personnes
interviewées par Nathaniel Rich, écrivain
et journaliste au New York Times, dont l’enquête
Perdre la Terre. Une histoire de notre temps dresse la
chronique détaillée des occasions manquées
(parfois de peu) avec le climat.
Paru récemment en traduction aux Editions
du Seuil et du Sous-sol, ce document romancé
est aussi une immersion dans les coulisses de la
pol itique américaine, qui montre que la
connaissance des faits ne suffit pas à déclencher
des actions raisonnables.
Certes l’histoire que raconte Nathaniel Rich
abrite ses méchants, ses héros et ses complices silencieux,
mais durant la décennie 1979-1989,
dont il dresse la minutieuse chronologie, la polarisation
entre les divers groupes d’intérêt n’était
pas aussi marquée, semble-t-il, qu’aujourd’hui.
C’est en cela que la période choisie nous éclaire: s’y
succèdent des rapports d’experts alarmants, trois
présidents (Carter, Reagan, Bush père) plus ou
moins impliqués, des sénateurs républicains acquis
à la cause des émissions de CO2 et des industriels
qui n’alimentent pas encore la controverse.
Point de départ de l’enquête, l’année 1979 voit
la parution du rapport Charney, basé sur les résultats
de supercalculateurs capables de modéliser le
climat. Commandé par la Maison Blanche, ce rapport
conclut à une hausse des températures comprises
entre 1,5 et 4,5 degrés à l’horizon 2035, et
acquiert, selon Nathaniel Rich, «l’autorité d’un fait
établi au plus haut sommet de l’Etat», mais aussi
au sein de la communauté scientifique et parmi les
lobbys du pétrole, du charbon et du gaz.
Pour structurer son récit, l’auteur américain
s’appuie sur le personnage de Rafe Pomerance,
militant écologiste et témoin privilégié des conférences
qui se succèdent durant la décennie autour
du climat. C’est lui qui comprend que la cause a
besoin d’un héros charismatique capable de fédérer
les personnes au pouvoir. Ce sera James
Hansen, second fil rouge narratif du livre, un
scientifique respecté, au style simple et direct, qui
témoigne plusieurs fois au Congrès, notamment
sur l’invitation d’Al Gore, alors sénateur.
L’arrivée au pouvoir en 1981 de Ronald Reagan
– coincidant avec une «blitzkrieg anti-écologiste
» –, n’affecte pas fondamentalement la
prise de conscience globale du phénomène. Aussi,
les conditions semblent propices en 1983 pour
que les résultats d’une nouvelle étude commandée
sous Jimmy Carter (le rapport «Changing Climate
») favorise une prise de décision contraignante.
C’est du moins l’espoir de Pomerance et
Hansen. Les deux écologistes ont fait du réchauffement
climatique leur principal cheval de bataille,
alors qu’au sein de la militance verte, beaucoup
concentrent encore leur action sur la
pollution ou le nucléaire.
Mais l’histoire n’est pas avare en retournements…
et c’est bien son éternel (et désespérant)
recommencement que narre Nathaniel Rich. Le
rapport «Changing Climate» abrite les mêmes
prédictions que ledit «Charney»: fonte des glaces,
villes côtières englouties, etc... Mais, alors qu’une
transition accélérée est recommandée, le discours
adopté lors de la cérémonie officielle par son rapporteur,
un certain Nierenberg, invite à la prudence
plutôt qu’à la panique. «Un des moments les
plus troublants de cette histoire», écrit Rich qui
explique la palinodie par l’écart générationnel
entre les plus influents rédacteurs du rapport et la
jeune garde.
Selon l’auteur, Nierenberg et ses alliés
croyaient à «l’exceptionnalisme américain», qui
avait permis de résoudre la crise économique des
années 1930 et de remporter la Seconde Guerre
mondiale. Dès lors, rien ne presse: l’ingéniosité
yankee à venir permettrait de gérer le problème.
Attentiste, le communiqué de presse bénéficia
d’une ample couverture médiatique, reléguant
l’urgence au placard et légitimant un «retour aux
fondamentaux» chez Exxon et compagnie.
L’histoire rebondit quelques années plus
tard, grâce à l’efficiente métaphore du «trou dans
la couche d’ozone» qui aboutit à un traité international
visant à réduire les émissions de ces gaz
utilisés dans les réfrigérateurs et les aérosols. «Un
problème atmosphérique abstrait avait été ramené
à l’échelle de l’imagination humaine», écrit
Nathaniel Rich. Par un effet d’association auquel
contribuent Hansen et Pomerance, la question de
l’ozone entraîne une nouvelle dynamique politique
autour de celle du CO2. Moment choisi par la
Maison Blanche pour exercer quelque discrète
censure sur divers experts, dont Hansen. Nouveau
coup d’arrêt, bientôt relayé par d’autres rebondissements
de cette histoire dont nous
sommes les héritiers: la conférence de Toronto, la
création du GIEC, dont les premiers résultats alimenteront
le sommet de Noordwijk en 1989 qui,
comme d’autres rencontres à venir, accouchera
d’une souris.
Nathaniel Rich, -- LOSING EARTH -- Perdre la Terre. Une histoire de notre temps,
 
 
 
 
 
 
 

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